Sans vraiment comprendre comment, je me suis retrouvé au milieu.
J’attends là, patiemment, comme d’habitude, qu’on vienne me rejoindre. Chaque jour, les enfants des rues alentour accourent après l’école, quand le temps le permet. En fin d’après-midi, la place se vide peu à peu. La nuit, tout est calme.
Mais cette nuit-là, je sens le quai trembler sous mes pas. Nerveux, je relève la tête et scrute les alentours. Pas une âme à l’horizon, pas un bruit. Normalement, le cowboy est toujours là, dans un coin, à veiller que je ne bascule pas dans un galop. Mais cette nuit-là, il n’est plus là. Il a repris ses bottes et son chapeau, et laissé le terrain derrière lui.
Nouveau tremblement. Un souffle chaud fend l’air et me traverse les naseaux. Je ne suis pas seul sur la plaine, mais je suis le seul encore éveillé.
Le quai tremble encore. Lentement, je balance mon corps d’avant en arrière. Mon ressort s’enfonce dans le sol aqueux, centimètre par centimètre. Le quai tremble trois fois avant que j’atteigne la rive, des secousses qui deviennent peu à peu des vrombissements. À chaque oscillation, le sol se plisse, se dérobe un peu plus. Les vibrations deviennent grondements. Sous moi, la terre frémit.
La ville tangue. Entre les murs et les pierres, quelque chose pousse. Des graines, semées par celles et ceux qui refusent de s’effacer. Dans le sol, le quai s’agite de plus en plus, les immeubles vacillent. Je me penche au-dessus du canal et j’aperçois un germe fendant enfin la surface de l’eau.